Un petit propriétaire bâtisseur de terrasses de culture à la fin du XIXe siècle au Gras de Joyeuse en Ardèche : Louis Roussel

Les Gras, cette bande de calcaires jurassiques, qui étendent un désert de pierre dans la vallée du Rhône et le bord du Massif Central, que l’Ardèche à Vogüé, puis la Beaume, le Chassezac traversent en cluses, étaient jadis couverts, du moins en partie, de vignobles et d’oliviers; pour planter la vigne l’on s’était contenté de piocher superficiellement le terrain, d’enlever les plus grosses pierres, que l’on avait amassées en tas; mais là où les plateaux présentaient la moindre pente, les pluies avaient entraîné le peu de terre qui s’y trouvait à la surface et le roc apparaissait alors à nu.

Aujourd’hui le roc apparaît partout à nu sur les Gras, depuis que le phylloxéra y a détruit les vignes, et rien ne peut alors donner l’aspect de désert et de nudité de ces plateaux.

C’est cependant sur l’un d’eux, au Gras de Joyeuse, que monsieur Louis Roussel est parvenu à créer une véritable oasis, garnie des plantes les plus variées, abritant, une habitation confortable, où l’on sent une famille heureuse de vivre bien chez elle. La petite propriété de monsieur Roussel, d’un seul tenant, s’étend sur une surface de 24 000 mètres carrés. Le terrain exposé au midi est en pente assez accentuée : entre le haut et le bas de la propriété existe une différence de niveau de 25 à 30 mètres. Dès lors, pour retenir le peu de terre végétale qui existait sur les rochers des Gras, il fallut établir une série de terrasses maintenues par d’épaisses murailles.

Mas Roussel à Joyeuse : relevé des ouvrages en pierre sèche et du mas.

Mas Roussel à Joyeuse : relevé des ouvrages en pierre sèche et du mas. © Michel Rouvière

 

Laissons monsieur Roussel nous expliquer lui-même comment il exécuta ce travail :

 

« Outre la muraille qui clôt la propriété et que j’ai faite ou réparée en partie, la longueur des murailles construites peut être évaluée à plus de deux kilomètres, ayant une hauteur moyenne de 1mètre 50 et une largeur moyenne de 2 m. 50. Ces dimensions, qui pourraient paraître exagérées pour ceux qui ne connaissent pas le sol de chez moi ont été nécessaires pour maintenir le terrain et pour loger les pierres extraites de la terre. Celle-ci a été défoncée à l’aide de la pioche et du pic à une profondeur d’un mètre en moyenne; les rochers divisés et cassés à force de bras ont servi à faire les murailles. Seuls quelques gros blocs ont été laissés. La terre bien enlevée de l’emplacement des murailles a servi à remplacer les vides creusés par les rochers enlevés. Par ces moyens nécessitant un long travail, l’épaisseur de la couche arable varie entre 80 et 90 centimètres.»

Coupe d'une planche entre deux murs à double parement. © Michel Rouvière

Coupe d’une planche entre deux murs à double parement. © Michel Rouvière

« Il y a vingt-deux étages ou « faysses » (nom sous lequel on désigne les terrasses dans la région), sans compter quelques-unes de petite étendue que la conformité du terrain et des rochers forçait à faire, soit par économie de travail ou par meilleure disposition des terres. Au haut de la propriété la colline formant comme un demi-dôme, j’ai donné aux murailles pour assurer aux « faysses » une surface plane, la courbe des flancs de la colline, toujours dans le sens le plus propre à assurer la parfaite stabilité des terres. »

Escalier traversant réservé dans un mur de terrasse à double parement. © Michel Rouvière

Escalier traversant réservé dans un mur de terrasse à double parement. © Michel Rouvière

Cette description de monsieur Roussel est de tous points exacte (…). Depuis 1880, monsieur Roussel y a consacré toutes les heures dont il pouvait disposer, en dehors de ses journées chez les voisins comme manœuvre ou maçon, (…) souvent même il y consacra une partie de ses nuits pendant la belle saison.

Parement d'un mur de terrasse : les blocs de calcaire dur ont leur face vue soigneusement ragréée (traces d'enlèvement d'éclats conchoïdaux). © Michel Rouvière

Parement d’un mur de terrasse : les blocs de calcaire dur ont leur face vue soigneusement ragréée (traces d’enlèvement d’éclats conchoïdaux). © Michel Rouvière

En même temps qu’il se créait ainsi un peu de terre cultivable, il agrandissait la maison que son père lui avait laissée, petite demeure en pierre sèche comprenant simplement deux pièces au rez-de-chaussée. Il construisit d’abord une étable en 1880, une magnanerie en 1886, creusa une citerne pour recueillir l’eau et ne plus être obligé d’aller se la procurer au loin chez des voisins; en 1890 il établit un four à pain, il surmonta sa maison d’un étage et y disposa deux belles pièces confortables; en 1910 enfin, il agrandit sa magnanerie, et apporta tous ses soins à la rendre le mieux disposée pour l’élevage des vers à soie.

Comment sont utilisés les 24000 mètres de terrain disposés en terrasses successives (…) ? Sur les terrasses supérieures sont plantées les vignes, trois rangées de vignes par « faysse » ou terrasse, des mûriers alternant avec les ceps le long même du bord des murailles.

Dans les terrasses inférieures, le long des murs qui entourent la propriété, sont plantés grand nombre d’arbres fruitiers, figuiers, pêchers, oliviers, etc. (…)

Une partie des terrasses, environ 7000 mètres, est cultivée en céréales, blé, avoine, seigle, alternant avec des plantes racines, pommes de terre ou betteraves, ou encore des vesces et des fèves. (…)

Monsieur Roussel est aidé dans son travail par sa femme et son fils, âgé de vingt-cinq ans qui rentre du service militaire et vient de se marier.

Ce dernier est bien résolu à continuer l’œuvre de son père et à vivre au Gras de Joyeuse. Il s’intéresse d’une façon toute particulière à tout ce qui regarde la culture, il s’est composé une petite bibliothèque renfermant déjà les principaux ouvrages qui peuvent lui fournir des renseignements utiles et lui permettre d’acquérir quelques notions scientifiques. (…)

L’ensemble de la propriété de monsieur Roussel est admirablement tenu, c’est un véritable jardin, et la maison très propre, plaisante même et coquette.

Source : M. Hitier, La petite culture dans l’Ardèche. Rapport sur le prix Meynot, extrait du bulletin de janvier 1913 de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, 28 p., en part. pp. 15-18.

Michel Rouvière – 4 juin 2005

 

 

 

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